Elections Communales du 17 Mai 2020

Bénin : le Professeur Faustin Aïssi en France, critique les 10% exigés pour des élections de proximité

L’investigateur 5/06/2020 à 18:26

La commission électorale nationale autonome (CENA) a proclamé les résultats provisoires des dernières élections du 17 mai 2020 dans notre pays. Ils ne peuvent pas ne pas interpeller la raison du moins pour l’application de la règle des 10% aux élections communales qui sont par définition des élections de proximité.

Le projet de société du candidat Patrice TALON validé par son élection à la présidence de la République en 2016, indiquait clairement la réorganisation des partis politiques de sorte qu’ils aient une envergure nationale. Cela conduit naturellement le gouvernement en septembre 2018 à voter deux lois électorales à l’unanimité des parlementaires moins une voix qui avait défini une règle commune à toutes les élections et introduit l’existence dorénavant au Bénin des grands partis qui a vu ramener nos plus de trois cents partis à une douzaine dont les cinq qualifiés pour les dernières communales.

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L’on peut se réjouir que les élections communales de 2020 aient pu avoir une autre dimension que les législatives de 2019 dans la mesure où une partie de l’opposition s’est détournée d’un mot d’ordre absurde de non respect d’une loi votée qui l’avait amenée à ne point se faire enregistrer et par voie de conséquence s’exclure de la compétition électorale et ne point avoir aucune représentation à l’assemblée nationale. Cette partie de l’opposition, le FCBE peut se réjouir d’avoir obtenu 14,32% des sièges soit 260 face à ses concurrents l’UP et le BR qui ont obtenu respectivement 45,18% et 40,50% soit 820 et 735 sièges consacrant de ce fait le caractère démocratique du scrutin en même temps que sa bonne organisation. Tant pis alors pour les boudeurs qui regarderont les trains passer encore une bonne année pour les présidentielles, trois pour les législatives et six pour les communales. Pour autant peut-on penser que notre pays a surmonté ses difficultés endémiques qui ont empêché son développement des décennies durant, livrant sa gouvernance à des dirigeants beaucoup plus préoccupés à se remplir les poches qu’à alimenter les finances de l’Etat en laissant les populations démunies et en perpétuelle recherche de comment trouver la veille la nourriture du lendemain de leur famille ? Pas vraiment même si aujourd’hui sous le mandat du gouvernement de Patrice TALON, l’observateur de bonne foi de même que les citoyens des villes et des villages constatent le changement évident et notable de leur environnement dû aux investissements massifs qui ont conduit pour la plupart d’entre eux à leur accès à l’eau, à l’énergie et le bénéfice d’infrastructures routières sur l’ensemble de l’étendue du territoire.

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Oui, notre pays a encore d’énormes difficultés tout simplement parce que les mentalités ont du mal à suivre l’évolution les lois qui encadrent la nouvelle gouvernance. Encore faudrait-il que ces lois soient suffisamment bien pensées pour ne pas laisser des faiblesses facilement exploitables auxquelles nous assistons aujourd’hui dont je vais opiner sur deux situations ubuesques majeures qui frappent l’esprit.
Le cas de Porto-Novo

Cette situation était suffisamment prévisible pour l’habitué des élections politiques que je suis avec mes expériences de trois mandats municipaux successifs et deux mandats successifs communautaires de Lille Métropole (au total une vingtaine d’années) pendant lesquels j’ai assumé les responsabilités de Président de groupe aussi bien en mairie de Villeneuve d’Ascq, (4ème ville en population) qu’à Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) forte de ses 170 élus représentant les 86 communes qui la constituent. Peut-on imaginer un scrutin démocratique où un parti, fut-il régional, obtient aussi bien la majorité absolue en sièges et la tutoyant en suffrages exprimés qui disparaît des radars parce qu’il n’aurait pas franchi la barre des 10% au niveau national ?

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Autant cette barre peut paraître soutenable aux élections présidentielles voire législatives où le député élu dans sa circonscription est « député de la Nation », autant les experts en politiques de décentralisation et de gouvernance auraient pu conseiller au gouvernement que des effets de seuil de la règle des 10% certes peu probables voire epsilon au niveau des présidentielles et législatives, ne le sont plus au niveau des communales par définition élections de proximité et annihilent le caractère démocratique quand ils se produisent mettant à mal l’ensemble de l’architecture conceptuelle législative.
J’ai fait un calcul des sièges dans les cinq arrondissements de Porto-Novo qui ont totalisé 50398 suffrages exprimés à partir les résultats publiés par la CENA. Si le PRD avait eu 10% des suffrages exprimés au niveau national, il aurait obtenu au total 18 sièges (avec 23486 voix,

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46,60%) ; l’UP 9 sièges (12292 ; 24,39%) ; le BR 6 sièges (9922 ; 19,69%) ; l’UDBN 0 siège (2853 ; 5,66%) ; le FCBE 0 siège (1735 ; 3,44%) pour un total de 33 sièges. Il convient d’ajouter que le PRD aurait obtenu la majorité absolue dans trois arrondissements : le 1er (5736 voix, 63,83%, 3 sièges) ; le 3ème (3556 voix, 50,28%, 3 sièges) ; le 4ème (6136 voix, 51,02%, 5 sièges). Il se tient bien dans le 2 ème (4115 voix, 46,41%, 4 sièges) et moins bien dans le 5ème (3923 voix, 29,24%, 3 sièges) où il est battu par l’UP. (5038 voix, 37,55%, 5 sièges), ce qui permet à ce dernier parti de devancer d’une tête son frère rival BR.

Or, dans l’application de la règle des 10% de suffrages obtenus sur le plan national, l’UP obtient 17 sièges et le BR 16 alors que le PRD largement majoritaire en suffrages exprimés avec 46,60% disparaît au profit de l’UP et du BR qui ont pourtant totalisé à eux deux moins de suffrages exprimés que lui, soit 24,39 +19,69 = 44,08%. Aussi revient-il à l’UP avec cette majorité étriquée de tout rafler : le maire, ses adjoints, les chefs d’arrondissement, chefs quartiers et points focaux Il s’avère que Porto-Novo n’est pas la seule commune dans cette situation mais en est l’emblématique cas d’espèce ne serait-ce que parce qu’elle est la capitale politique. Certes, tout ceci est légal, « Dura Lex Sed Lex » à savoir, la loi est dure mais c’est la loi, formule bien connue des juristes. Toutefois, comment peut-on aller expliquer aux citoyens qui ont voté très largement pour une équipe majoritaire que ce sont les minoritaires avec le quart et la moitié des suffrages exprimés du gagnant qui raflent la mise ? Cette situation pose donc manifestement un problème de légitimité. Si elle est tout ce qu’il y a de plus légale donc démocratique, le moins que l’on puisse dire est qu’elle souffre de légitimité car n’est aucunement fondée sur la raison. Elle n’est donc pas juste et posera de toutes les façons beaucoup de problèmes d’autorité entre les citoyens et la gouvernance de la mairie.

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De ce point de vue, le législateur devrait reprendre cette partie du code électoral et l’adapter à la nature de l’élection. Ainsi les 10% des suffrages exprimés seront le seuil à atteindre pour les partis politiques mais en revoyant la cartographie de notre pays déjà divisé en douze départements qu’il faut stratifier en trois régions de quatre départements chacune :

• Région Sud-Littoral comprenant quatre départements Atlantique : Littoral, Mono ; et Ouémé

• Région Centre comprenant quatre départements : Collines, Couffo, Plateau, et Zou ;
• Région Nord : Alibori, Atacora, Borgou et Donga.

Ainsi la règle des 10% pour le partage des sièges seront au niveau des Régions pour les élections législatives et au niveau des Départements pour les élections communales. Enfin pour les élections présidentielles, il faut avoir au moins 10% des suffrages exprimés au niveau national pour avoir accès au second tour. J’avais déjà fait au Chef de l’Etat cette proposition des douze départements en trois régions certes dans le cadre de l’éducation nationale avec trois recteurs d’académie pour mieux gérer au plus près la politique éducative et sanitaire dans les établissements scolaires et universitaires. Mais l’entourage du Chef de l’Etat ne doit pas beaucoup souhaiter l’apport des Béninois de la diaspora qui disposent pourtant des compétences avérées dans tous les domaines, Dans le cas présent on aurait gagné par leur apport et éviter ce recours précipité et discutable au parlement pour une loi d’opportunité par définition non rétroactive même si elle franchira la validation de la cour constitutionnelle.
En effet, on aura beaucoup de mal à expliquer aux spécialistes de droit voire même aux étudiants en droit de l’ENAM et surtout les convaincre qu’il faille passer dans la précipitation une loi relative à une élection qui a déjà eu lieu même avec la précaution de « loi interprétative et complétive » introduite « en procédure d’urgence visant notamment à renforcer la prééminence des partis politiques et éviter le blocage de l’élection de dizaines de maires et de leurs adjoints » pour cause de non compréhension des élus d’un article du code électoral. Cette loi rectificative introduit en tout état de cause une discrimination et fait apparaître deux
types d’assemblée communale, celle dont les maires et adjoints auront été élus avec l’article 189 ancien du code électoral et ceux relevant de l’article 189 nouveau que certains peuvent qualifier de maires et adjoints désignés donc mal élus. Si le travail avait été normalement fait au niveau des partis, on n’aurait pas assisté à tous ces désordres lors de l’installation des conseils communaux. Il était par exemple surprenant qu’aucun parti n’ait disposé d’un projet de ville porté par une tête de liste auquel la fonction de maire serait naturellement revenue si son parti gagnait cette élection. Je ne pense pas avoir observé cette démarche même quand il y a des maires sortants candidats alors qu’ils ont par ailleurs un bilan à défendre. Pourtant leur Leader vénéré du Bénin Révélé n’avait-il pas un programme flatteur « Le Nouveau Départ » lors de sa candidature aux élections présidentielles !

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Aussi, faudrait-il s’étonner d’avoir une pléthore de candidats aiguisés par l’appétit de la fonction ? Il n’était pas nécessaire de modifier la loi du 15 novembre 2019 portant Code électoral en République du Bénin mais d’apprendre aux nouveaux élus les règles de fonctionnement d’un parti politique national. Il est vrai qu’on est dans un domaine où l’expérience d’élus ayant été confrontés aux systèmes partisans d’envergure nationale est absolument nécessaire sauf que la quasi-totalité de la classe politique béninoise a été habituée pendant trois décennies au multipartisme intégral avec son cortège de centaines de partis de quartiers de ville ou de villages.

S’il leur était venu à l’esprit que la règle des 10% appliquée aux élections communales conduisant à des élus minoritaires était beaucoup plus discursive, et par voie de conséquence attentatoire à la légitimité des maires et de ses adjoints, les péripéties d’exhibition d’égo démesuré de cours de récréation auraient peu pesé et nous aurions sans doute fait l’économie de cette contorsion législative inappropriée. J’ose espérer que le gouvernement devrait dorénavant éviter de donner l’impression d’une certaine légèreté d’interprétation d’actes réglementaires comme cette taxe de 100.000 FCFA pour test PCR et/ou Sérologique COVID19 à l’aéroport que les Béninois de la diaspora devraient s’acquitter alors qu’il est gratuit pour ceux de l’intérieur oubliant qu’en République, sur le sol national, aucune loi ne peut discriminer des citoyens qui en ont la nationalité.




 
 

 
 
 

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